vendredi 2 octobre 2009

Un journal est mort

Les Suisses romands n'ont plus d'autre choix que de lire le quotidien gratuit 20 Minutes en se rendant au travail. Le Matin Bleu, son unique concurrent, a publié sa dernière édition le 25 septembre dernier. Ce n'est pas pour autant une mort conventionnelle, mais une réunion entre les deux titres de presse : les deux rédaction vont fusionner pour donner naissance à un 20 Minutes nouvelle formule en novembre.

Or, cette fusion ce trouve être la partie la plus visible d'un bouleversement important dans le paysage des médias suisses : le rachat progressif du groupe de presse romand Edipresse Suisse (propriétaire du Matin Bleu, mais aussi des quotidiens 24 heures, La Tribune de Genève, Le Matin) par le groupe suisse allemand Tamedia basé à Zurich (propriétaire de 20 Minutes). Ce rapprochement crée le quatrième groupe de presse suisse par le chiffre d'affaires (1,25 milliard de francs et 700 salariés), tandis que disparaît la dernière grande entreprise de médias romande.

«La mort d'un journal n'est plus ce qu'elle était», regrette avec nostalgie la journaliste Sylvie Arsever dans Le Temps. Elle se souvient de l'époque ou l'on pleurait encore la disparition d'un journal (La Suisse en 1994). Espérons toutefois que le 20 Minutes nouvelle version soit d'une qualité éditoriale meilleure que son prédécesseur...

Crédit photo : Pimboula

mercredi 30 septembre 2009

Fallait-il arrêter Roman Polanski ?

La Suisse a déclenché un tourbillon médiatique en décidant d’arrêter Roman Polanski à son arrivée sur le sol helvétique, samedi 26 septembre, alors que le réalisateur franco-polonais se rendait au Zurich Film Festival pour recevoir un prix. Placé en détention provisoire, il risque d’être extradé vers les Etats-Unis. Une situation qui consterne une partie de l’opinion.

Le cinéaste est rattrapé par une affaire vieille de plus de trente ans. Les faits qui lui sont reprochés par la justice américaine remontent à mars 1977 : alors âgé de 43 ans, il aurait au cours d’une séance photo fait consommer de la drogue à une jeune fille de 13 ans, avant d’avoir des relations sexuelles illégales avec elle. Incarcéré plus d’un mois après avoir plaidé coupable, il profite d’une sortie provisoire de prison pour fuir en Europe car le juge le menace d’une peine de 50 ans d’emprisonnement. Dès lors, Roman Polanski n’a jamais remis les pieds aux Etats-Unis, où il est sous le coup d’un mandat d’arrêt et donc considéré comme un «fugitif».

Acharnement judiciaire
L’année dernière, les avocats du réalisateur avaient demandé l’abandon des poursuites et le classement de l’affaire après la sortie du documentaire Roman Polanski : Wanted and desired, de Marina Zenovich. Le film avait apporté un jour nouveau à l’affaire : la réalisatrice s’était employée à démontrer l’acharnement judiciaire dont a été victime Roman Polanski. De plus, la victime de l’époque, Samantha Geimer, a demandé à la justice américaine d’abandonner les poursuites. En 2003, elle racontait au Los Angeles Times le revirement brutal du juge de l’époque, avant de déclarer : «Je n’ai pas de rancœur envers lui, ni aucune sympathie non plus.»

Fallait-il alors arrêter Roman Polanski, compte tenu de la procédure judiciaire inéquitable menée à l’époque et du fait que la victime souhaite depuis clore affaire une fois pour toutes ? L’opinion publique sous le coup de l’émotion crie «non !». Ainsi, une pétition en faveur du réalisateur oscarisé en 2003 a été signée par de grands noms du cinéma, tandis que les ministres Frédéric Mitterrand et Bernard Kouchner se sont indignés de cette arrestation brutale.

Peut-on invoquer la prescription ? Si l’Europe a pardonné au réalisateur, dont le talent a semble-t-il fait oublier la faute, les Américains peinent à comprendre cette attitude. Pour eux, Roman Polanski ne peut se soustraire indéfiniment à la justice. Ni sa célébrité ni l’assassinat de sa femme enceinte, Sharon Tate, quelques années auparavant ne peuvent servir d’excuse pour un délit aussi sérieux que le viol d’une mineure. Il est sans doute grand temps, à 76 ans, que Roman Polanski solde son compte avec la justice et cesse de jouer au chat et à la souris. La loi est la même pour tous. D’autant que la justice américaine peut se montrer compréhensive, au vu des irrégularités de la procédure, et classer définitivement l’affaire.

Des pressions sur la Suisse ?
Mais pourquoi cette arrestation soudaine ? Le réalisateur possède en effet un chalet à Gstaad où il séjournait régulièrement, «le plus officiellement du monde. Or, à aucun moment jusqu'à ce jour, il n'avait été inquiété par la justice helvétique», explique son avocat au Figaro.

Le lien est vite établi entre l’affaire Polanski et l’affaire UBS aux Etats-Unis, dont l’étau s’est resserré dernièrement autour du secret bancaire helvétique. Cependant, la ministre des affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey nie farouchement toute pression des USA, se posant toutefois «des questions sur la finesse de l’intervention». Sa collègue Doris Leuthard affirme que la Suisse n’avait pas d’autre alternative, en tant «qu’Etat où la police fonctionne». La décision aurait été motivée par le fait que Roman Polanski ne s’est pas rendu à une ultime convocation de la justice américaine en mai dernier. Ses avocats ont fait appel de la décision suisse.

mardi 9 juin 2009

Federer : le meilleur de tous les temps

Dimanche sur la terre battue de Roland Garros, Roger Federer a gagné sa place au panthéon du tennis. Il entre dans un cercle exclusif qui ne compte, avec lui désormais, que six hommes ayant remporté tous les tournois du Grand Chelem. Seul l’un d’entre eux – Andre Agassis – pouvait lui remettre la Coupe des Mousquetaires. La presse suisse célèbre son plus grand champion.




« Une lente et savante gestation, est arrivée à son terme » se félicite Le Temps, dans un clin d’œil à l’enfant que porte l’épouse du Bâlois. Le quotidien consacre une édition spéciale en ligne [accès limité] à cette « libération de Paris ». Le tennisman est sacré « roi de Roland Garros » par Swissinfo.ch. Le site souligne « l’aboutissement ultime pour Federer, qui semblait ne jamais devoir s’imposer sur la terre battue parisienne ». A aboutissement ultime, question ultime.

Federer est-il devenu « le plus grand joueur de tous les temps » ? Certains n’hésitent pas à franchir le pas comme 24 heures, relevant que le tennisman a réussi « l’année où il semblait le plus vulnérable ». La Tribune de Genève aussi, qui assure que l’intéressé « a toujours rêvé de laisser une trace » dans l’histoire.

Pourtant, le paradoxe veut que Federer accède à la première marche de ce podium éternel en étant techniquement numéro deux au classement ATP, et sans non plus dépasser le record qu’il codétient avec Pete Sampras. Mais l’Américain ne se berce pas d’illusions, persuadé que le Suisse n’en est pas à sa dernière victoire en Grand Chelem. Il lui accorde même le titre, estimant que sa victoire parisienne « consolide sa place dans l’histoire en tant que meilleur joueur de tous les temps ».

Federer est-il arrivé au sommet? Le Matin se perd en conjectures et voit déjà le tennisman reprendre sa couronne de numéro un à Rafael Nadal le mois prochain, sur le court de Wimbledon. Une chose est certaine : Roger Federer n’a pas fini d’écrire l’histoire du tennis du bout de sa raquette.

lundi 6 avril 2009

Sommet mondial pour une liste grise



« Le secret bancaire du passé doit prendre fin », a prévenu le premier ministre britannique Gordon Brown, en conclusion du G20 de Londres. Toutefois, la Suisse avait eu l’assurance qu’elle ne figurerait pas sur la liste noire. Au final, le pays échoue sur une « liste grise ». La lecture du listing publié par l’OCDE, qui énumère les Etats fiscalement non coopératifs, est édifiante, pour ne pas dire déroutante.

A en croire le document, seuls quatre pays composent la liste noire et seraient vraiment non coopératifs : le Costa-Rica, la Malaisie, les Philippines et l’Uruguay. A noter l’absence de places comme Hong-Kong ou Macao, la Chine ayant fait pression pour que ses dépendances n’y figurent pas. Stupéfaction aussi concernant la liste blanche, qui comprend les paradis de Jersey, Guernesey et l'Île de Man, trois annexes britanniques. Reste une vaste antichambre où sont répertoriés une trentaine de paradis fiscaux et « autres centres financiers » (dont la Suisse), qui ont accepté de se plier aux standards de l’OCDE et doivent les mettre en œuvre.

Ce gris qui arrange tout le monde
L’éléphant a accouché d’une souris. Le G20 promettait des décisions fortes, mais a débouché sur un compromis. Personne n’est réellement black listé, personne n’est blanchi pour autant. Ce gris arrange tout le monde. Néanmoins, si les places financières usant du secret bancaire ont évité le pire, elles apparaissent comme perdantes. La Confédération helvétique, le Liechtenstein, le Luxembourg et l'Autriche ont dû faire de lourdes concessions, qu’il va désormais falloir mettre en place.

En cédant à l’OCDE la distinction entre évasion et fraude fiscale pour les résidents étrangers, la Suisse a abandonné un part de ce qui faisait l’essence de sa vénérable institution bancaire. « La Suisse est un État sérieux: elle fait ce qu'elle dit », rappelle Micheline Calmy-Rey. Le pays se voit contraint à remettre à plat près de 70 conventions fiscales avec l’étanger, les USA en tête. Un processus de longue halène prévient le président Hans-Rudolf Merz, conscient des « lenteurs inhérentes à la démocratie directe suisse. »

samedi 28 mars 2009

La frontière suisse se déplace

Les frontières, des lignes immuables ? Pas si sûr : celles de la Suisse ont bougé. Ce n’est en rien la conséquence d’une improbable guerre entre le pays neutre et l’un de ces cinq voisins. Non, si une partie des 1852 kilomètres qui entourent la Confédération s’est déplacée, le responsable n’est autre que la nature, ou plutôt le réchauffement climatique.

La fonte des glaciers entre la Suisse et l’Italie a fait reculer les bordures helvètes de quelques dizaines de mètres dans le Haut-Valais et les Grisons. Les bornes placées dans les années 1920-1930 pour matérialiser la frontière, inchangée depuis 1861, ont disparu avec le retrait des glaciers Mont-Rose et Piz-Bernina.

Un détail qui n’a pas échappé à l’Institut géographique militaire de Florence. Il s’est aperçu que « les frontières légales ne correspondent plus à la réalité », rapporte le quotidien La Repubblica. L’institut italien s’en est inquiété auprès de son homologue l'Agence cartographique fédérale de Berne (Swisstopo). Dans le même temps, le ministre des affaires étrangères Franco Frattini se hâtait de déposer un projet de loi devant la commission de la Chambre des députés pour réviser le tracé italo-suisse.

Une procédure lourde
On imagine mal la Suisse faire le premier pas, car c’est elle qui perd une partie de son territoire au profit des Italiens. Le directeur de Swisstopo avance quant à lui un argument technique. « Pour quelques mètres, on ne procède pas systématiquement à une rectification, d’autant plus que la procédure est assez lourde», explique Jean-Philippe Amstein à la Tribune de Genève.

Une commission d’experts binationaux doit désormais définir le nouveau tracé. Ensuite, les deux pays rectifieront leur frontière commune par voie parlementaire. « Autrefois, on définissait les frontières par la force des armes. Aujourd'hui, ce sont les experts qui le font », ironise Franco Narducci, le député italien rapporteur du projet de loi.

Crédit photo : Tonayo

vendredi 20 mars 2009

Le secret bancaire assiégé

L'Union européenne fait le siège de la place forte bancaire suisse, résolue à infléchir son fameux secret. Le sommet du G20 de Londres, le 2 avril, a des chances d'être le théâtre d'une bataille acharnée, voire de l'assaut final contre les systèmes bancaires marginaux d'Europe.

La Suisse n'entend pas pour autant se laisser discréditer sans réagir, d'où le coup de semonce de Micheline Calmy-Rey lors de son récent passage à Paris. « La Suisse n'est pas un paradis fiscal, pas un État voyou, pas un État non coopératif », a tonné la chef de la diplomatie, mercredi 17 mars. La conseillère fédérale s'est indignée de la présence hypothétique de la Suisse sur la liste noire des paradis fiscaux de l'OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économiques).

D'autant que la Confédération helvétique fait d'importantes concessions pour rentrer dans le rang. Elle a annoncé en même temps que la Belgique, l'Autriche, le Luxembourg et Andorre un assouplissement du secret bancaire, pour se plier aux critères de l'OCDE dans l'échange d'informations fiscales avec les pays étrangers. Le secret ne sera plus seulement levé en matière de fraude fiscale, mais aussi dans les cas de simples évasions à l'impôt (article 26 alinéa 2). La suppression de la distinction entre fraude et évasion fait planer la menace de poursuites pour de nombreux clients étrangers des banques suisses.

Relations dégradées
Paris en a profité pour s'engouffrer dans la brèche. La France a gelé la ratification de la convention fiscale, signée entre les deux pays en janvier, tant que la Suisse n'aura pas ajouté le critère de l'OCDE dans le texte. Le ministre du budget français Eric Woerth escompte le retour de plusieurs milliards d'euros à l'abri en Suisse. Les relations germano-suisses sont pires. Le ministre allemand des finances, Peer Steinbrück, a récemment mis le feu aux poudres après avoir comparé le pays à des « Indiens qui fuient devant la cavalerie ». En réponse, ce dernier s'est vu assimilé à un nazi par un député suisse et aurait reçu des lettres de menace.

Cependant, le rendez-vous du G20 pourrait être moins disputé que prévu. Les dirigeants du l'Union européenne ont assuré, vendredi 20 mars, que la Suisse, l'Autriche et le Luxembourg ne figureraient pas sur la liste noire de l'OCDE. La pression va-t-elle se relâcher pour autant ? Réponse le 2 avril.

Crédit Photo : World Economic Forum

vendredi 13 mars 2009

Une proposition en faveur de l’enseignement du créationnisme à l’école

Darwin vient à peine de souffler ses 200 bougies qu’un vent de défiance s’en prend à sa théorie de l’évolution des espèces (1859) en Suisse. « Les créationnistes se lancent à l’assaut des écoles suisses », titre Le Matin qui révèle le lancement prochain d’une initiative populaire par des « fondamentalistes » chrétiens pour que les thèses créationnistes soient enseignées en cours de biologie au même titre que la théorie de l’évolution, comme dans certaines écoles américaines.

A l’origine de la proposition qui risque de soulever la polémique se trouve Gian Luca Cariget, conseiller d’entreprise zurichois et fondateur de l’association ProGenesis. Le quinquagénaire n’en est pas à son premier coup d’éclat. Dans les cartons de son organisation, on retrouve un utopique projet de parc d’attractions en Suisse alémanique : Genesis-Land, lancé en 2005. L’objectif affiché est de contrer « la théorie omniprésente de l'évolution de Darwin » en illustrant à la lettre les récits de la Bible, de la Genèse à l’Apocalyspe, avec en clou du spectacle une immense arche de Noé flottant sur un lac artificiel.

Une approche qui n’est pas sans rappeler celle du Musée de la création de Petersburg, dans le Kentucky. Le musée fait une lecture littérale de la fondation du monde en six jours décrite dans la Bible. Aux Etats-Unis, qui font figure de berceau du créationnisme chrétien, un demi million de visiteurs se sont pressés au musée la première année. Cet exemple parmi d’autres accréditerait l’idée d’un retour des obscurantismes dans nos sociétés modernes, au rang desquels le créationnisme figure en bonne place.

Les Suisses moins favorables à la théorie de l’évolution
Bien que l’initiative populaire ait très peu de chance de percer, elle relance le débat en Suisse. D’autant que le pays ne fait pas office de bastion inébranlable des thèses darwiniennes. Dans le dossier de l’hebdomadaire Courrier International consacré au bicentenaire de la naissance de Darwin (numéro 954 de mi-février), une étude déjà évoquée par la Tribune de Genève en 2006 figure la Suisse parmi les pays européens les moins favorables à la théorie de l’évolution (voir extrait ci-contre).

À la question « Les hommes d’aujourd’hui se sont-ils développés à partir d’espèces animales qui vivaient auparavant ? », qui revient à tester l’adhésion à la théorie de l’évolution, les Suisses ont répondu « oui » à un peu plus de 60%, tandis que près de 30% réfutent cette thèse. A titre de comparaison, les Français croient dur comme fer en Darwin (80% « oui » ; 15% « non »), les Etasuniens sont partagés (40% « oui » ; 39% « non ») et les Turcs rejettent massivement la théorie évolutionniste (25% « oui » ; 50% « non »). Le créationnisme est en effet beaucoup plus répandu dans les pays de confession musulmane que dans les pays de tradition judéo-chrétienne.

Au-delà des convictions personnelles, il toutefois est hasardeux de faire cohabiter sur un pied d’égalité science et religion, qui n’ont pas vocation à être comparées. Chacune délivre ses réponses, dans le champ qui est le sien. A noter que la Vatican, pourtant en retard sur de nombreuses questions de société, a admis la théorie de l’évolution en 1950 dans l’encyclique Humani Generis.

Crédit photo : Darwin Bell